Comment retrouver une succession sous l'Ancien Régime ?

Acte de partage d'héritage, 1754 © ADLA
Acte de partage d'héritage, 1754 © ADLA
Histoire foncière, Généalogie, Histoire économique

_"Un lit bas garny d'une paillasse, une poile à frire, une juppe de berlinge...deux planches de vigne, trois journaux de terre...." _ou comment trouver les biens d'un ancêtre et leur transmission sous l'Ancien régime.

« Le ving-unième jour de janvier mil sept cent soixante-trois a été inhumée dans le cimetière de cette église Julienne Martel, en son vivant épouse en secondes nopces de Michel Joubert, âgée d’environ quarante un ans…».

Voici les indications données par le registre des baptêmes, mariages et sépultures de la paroisse de Saint-Julien-de-Vouvantes. Cette personne a-t-elle ou non des héritiers ? Directs ou indirects ? De ce mariage et /ou du précédent ? Qui était son premier mari ? Laisse-t-elle des biens et comment ? A travers cet exemple, voici comment retrouver une succession.

Le contrôle des actes

L’édit de mars 1693 qui a créé l’enregistrement ou contrôle des actes faisait obligation aux notaires de soumettre leurs actes au contrôle du bureau dans le ressort duquel ils exerçaient, et ce moyennant le versement d’un droit tarifé. Au bout d’un certain temps, vu la quantité d’actes, les employés des bureaux eurent du mal à retrouver rapidement les informations nécessaires à la prévention ou à la recherche des fraudes. Ils établirent donc au XVIIIe siècle des tables par catégories d’actes. Toutes ces tables n’ont pas été conservées pour tous les bureaux. Néanmoins, voici la méthode à suivre.
- les tables des décès : elles indiquent, pour chaque paroisse située dans le ressort du bureau, les décès dans l’ordre chronologique, et contiennent plus ou moins d’informations sur les héritiers et les biens délaissés. En l’occurrence, on apprend dans le registre du bureau de Saint- Julien-de-Vouvantes, que Julienne Martel « a laissé des immeubles et des enfans ». Il arrive aussi que l’on trouve seulement les mentions suivantes : « SD : succession directe », « SC : succession collatérale », « SB : sans biens » ; dans ce dernier cas, bien sûr, la recherche tourne court. Ensuite, il faut consulter une deuxième table, pour savoir si la morte a prévu ou non des donations particulières.
- les tables des testaments : elles contiennent, dans l’ordre chronologique des testaments, par lettre alphabétique, le nom du notaire qui les a reçus, la date de leur contrôle, les nom, prénom, qualité et lieu de demeure du décédé, le nom des héritiers et légataires institués, la date du paiement des droits, ainsi qu’une colonne réservée aux observations. La défunte n’y figure pas. Il est également possible de retrouver un testament, en cas d’absence de table, en consultant le registre du contrôle des actes, puisque le testament devait y être enregistré dans les quinze jours suivants le décès ; la recherche est donc relativement rapide. Elle permet parfois des découvertes insoupçonnées ; dans le registre du contrôle des actes du bureau de Saint-Julien-de-Vouvantes, à la date du 12 février 1763, est noté : « a été controllé inventaire des meubles et effets de la communauté de Michel Joubert et défunte Jullienne Martel, elle cy-devant veuve de Pierre Crossouard, et ledit Joubert de Perinne Douesneliere, à la requete dudit Joubert […] passé devant Bauduz, greffier à Vouvantes, les 10 et 11 dudit… ». Ce document donne de nouvelles informations : le nom du premier mari, le conjoint survivant lui-même veuf d’un premier mariage, et il y a eu un inventaire mobilier (1). On en conclut que les enfants sont mineurs et/ou qu’il y a contestation entre les héritiers, puisque le greffier de la juridiction est intervenu.

Avant de rechercher cet inventaire, puisque la table des décès mentionne que la défunte laissait des immeubles et que la règle successorale dans ce domaine sous l’Ancien régime est le partage égal entre les enfants,- hormis les successions nobles, pour lesquelles était pratiqué le « partage avantageux » -, il faut se reporter à :
- la table des partages : dans l’ordre chronologique des partages, par lettre alphabétique, sont mentionnés les noms et prénoms des décédés, les noms des héritiers, les noms des notaires rapporteurs, les dates du contrôle des partages, le montant des partages, et il y a encore une colonne pour les observations. Aucun partage ne figure au nom de Julienne Martel jusqu’en 1789. Peut-être les héritiers sont-ils restés dans l’indivis et ont-ils vendu une partie des biens ; la table des vendeurs permettrait de répondre à cette question ; mais ceci est une autre histoire…

Lorsqu’il n’y pas d’héritier direct, on peut se reporter à :

- la table des successions collatérales, où, dans l’ordre chronologique des décès, et par lettre alphabétique des décédés, figurent les noms des héritiers, la date des paiements, les sommes payées et la situation des biens délaissés.
Pour connaître les biens laissés par Julienne Martel, il faut avoir recours à une autre catégorie d’acte : l’inventaire après décès.

Les archives judiciaires

La mention, dans le registre du contrôle des actes, du nom d’un greffier qui a dressé l’inventaire après décès, amène à poursuivre la recherche dans les archives judiciaires, en l’espèce, dans le fonds de la justice seigneuriale de Vouvantes, et plus précisément dans les actes intitulés « scellés, inventaires et partages de meubles ». C’est là que se trouve la succession de Julienne Martel. Il y a effectivement des enfants mineurs, des deux mariages contractés, et le greffier, à la demande du procureur fiscal, est venu poser les scellés « aux meubles de la communauté » en faisant une brève description du mobilier (22 janvier 1763).
La deuxième étape consiste en un inventaire des meubles et effets de la communauté, dressé par le même, mais cette fois extrêmement détaillé, et contenant également la valeur attribuée aux différents objets, faite par deux estimateurs, ainsi que la description « des papiers et titres » (10 février 1763). Ce dernier permet de connaître les biens immobiliers possédés, la date de leur achat et le nom du notaire qui a passé les actes, ainsi que le lieu et la date du contrôle des actes. Les minutes retrouvées (voir Liens d’archives n°3) donnent la description des biens, leur prix d’achat et même la profession de Pierre Crossouard, acquéreur, premier mari de Julienne Martel : marchand sabotier.

S’ensuivent la vente publique des meubles et effets de la communauté, à la requête du mari survivant et du tuteur des enfants mineurs du premier mariage (22 février 1763), puis trois ventes pour les enfants mineurs issus des deux mariages de revenus provenant de leurs biens (3 et 30 octobre 1763 et 2 septembre 1765).

Les mises sous scellés, inventaires après décès et ventes des meubles sont à chercher dans les fonds des juridictions royales (prévôté de Nantes et sénéchaussées de Nantes et de Guérande) et seigneuriales.

Il faut noter que les notaires peuvent également dresser des inventaires après décès, ayant, comme ils l’écrivent, «prorogation de juridiction » de la cour à laquelle ils sont rattachés ; il n’est donc pas surprenant d’en trouver dans les minutes. Enregistrés, comme tous les autres actes des notaires, dans les registres du contrôle des actes du bureau dont ils relèvent, il est possible de les retrouver par ce biais.

En conclusion, cette recherche est plus ou moins simple, selon que les tables sont ou non conservées. Mais ces documents sont d’un très grand intérêt pour l’histoire économique et sociale : ils permettent de connaître la famille et les proches des défunts, leurs activités, leur environnement, leurs biens.

(1) Il a existé également des tables des inventaires après décès, mais aucune n’est conservée pour les bureaux de l’actuel département de Loire-Atlantique.