La recherche dans les archives de l’épuration
Dès l'été 1943, le gouvernement de la France libre pose les principes de répression des faits de collaboration. Si la Libération s'accompagne de règlements de compte, d'exécutions sommaires difficiles à évaluer, rapidement une série de textes officiels encadre l'épuration.
Une cour de justice et une chambre civique sont mises en place dans chaque chef-lieu de ressort de cour d’appel (en l’occurrence Rennes) ; elles sont divisées en sections départementales. La cour de justice et la chambre civique de Loire-Inférieure seront supprimées et rattachées à celles de l’Ille-et-Vilaine en avril 1946 ; leurs dossiers se trouvent donc naturellement conservées aux Archives départementales de l’Ille-et- Vilaine. Mais ces documents ne constituent pas la seule source de l’histoire de l’épuration. Pour en étudier les mécanismes, il faut également s’intéresser au rôle du comité départemental de Libération, aux internements administratifs, aux affaires traitées par les commissions d’épuration administrative ou professionnelle, par le comité de confiscation des profits illicites… autant de procédures qui ont laissé de nombreux documents dans les fonds du cabinet du préfet (1699 W), de la sous-préfecture de Châteaubriant (43 W), de la police de Nantes et Saint-Nazaire (1310 W, 1623 W), des Renseignements généraux (1668 W), du comité départemental de Libération (10 W) ou du comité de confiscation des profits illicites (1679 W).
La procédure type
En matière d’épuration, les procédures sont nombreuses et complexes. Le schéma le plus simple est la constitution de dossiers d’enquête par les comités locaux et départementaux de libération qui reçoivent plaintes et dépositions et émettent des avis (10 W 15-32, 1699 W 4). Ces dossiers sont transmis à la préfecture qui peut les compléter par des enquêtes complémentaires (1310 W 10-11, 1623 W 52-58, 1668 W 1-28, 1699 W 19-22, 31-127). Parallèlement, au vu des rapports établis par les comités de libération, le préfet ou le commissaire régional de la République peuvent interner les suspects (1699 W 6-13, 128-148).
Dans ce contexte, de nombreux camps d’internement sont créés (1623 W 18, 1699 W 128-148, 43 W 165-226 et fonds des divisions de la préfecture). Le site de Choisel à Châteaubriant est utilisé comme camp de séjour surveillé pour les individus faisant l’objet d’un arrêté d’internement de longue durée. Un centre est mis en place rue du Boccage à Nantes, dissout dès avril 1945. Lui succède, à compter du 23 avril, le camp des Dames Blanches, rue de Gigant à Nantes; il s’agit d’un « centre de triage » pour les internés faisant l’objet d’un arrêté d’internement temporaire afin de permettre aux autorités militaires ou à la police de terminer l’instruction des dossiers.
Après la libération de la poche de Saint-Nazaire, de nouveaux centres sont créés : le camp de Brignand à Ponchâteau, les camps de La Baule (les Sylphes pour les femmes et Saint Maur pour les hommes), le camp de Saint-Père-en-Retz pour lesquels très peu d’archives sont conservées. En août 1945, il ne reste plus que le centre des Dames Banches (dissout en septembre 1945) et le camp de Choisel (fermé en décembre de la même année)
Nécessaires pour calmer les esprits en attendant la mise en place des cours de justice et chambres civiques (novembre 1944), mais aussi pour éviter les vengeances personnelles et les exécutions sommaires, les internements administratifs font l’objet de contrôles par la commission de vérification des internements (10 W 33-34, 1699 W 136). Beaucoup ont été préventifs en attendant les jugements de la cour de justice ou de la chambre civique (aujourd’hui aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine). Ce schéma est compliqué par l’existence de nombreuses autres institutions, notamment en matière d’épuration économique et professionnelle.
Des procédures parallèles
En ce qui concerne l’épuration économique, les ordonnances du 16 octobre 1944 et du 29 mars 1945 mettent en place la répression des faits de commerce avec l’ennemi. Certains ne sont pas punissables, s’ils n’ont pas une importance significative, ou s’ils n’ont pas été provoqués. Il y a crime lorsque les rapports économiques ont apporté à l’ennemi un appoint appréciable en raison de leur nature, leur ampleur ou leur répétition. Il y a délit dans les autres cas. Le comité départemental de Libération reçoit de nombreuses plaintes (10 W 20-21) qu’il transmet au préfet pour suite à donner : les crimes sont déférés aux cours de justice et chambres civiques tandis que les délits sont jugés par les tribunaux correctionnels ordinaires (série W). Parallèlement à ces jugements pénaux, il est procédé à une épuration professionnelle : les comités régionaux professionnels d’épuration (1699 W 23-24) instruisent les affaires et proposent les sanctions (blâme, licenciement, interdiction d’exercer des fonctions de direction…) aux commissaires régionaux de la République. De plus, les profits résultant de tout rapport avec l’ennemi, même s’ils ne sont pas punissables au regard de l’ordonnance du 29 mars 1945, peuvent être confisqués ; c’est le rôle des comités de confiscation des profits illicites (1679 W18-260, 1699 W 153-155). En outre, des amendes correspondant au triple des profits réalisés peuvent être infligées. La procédure, administrative, est écrite et sans avocat. Il est institué un conseil supérieur siégeant au ministère des Finances devant lequel il peut y avoir recours.
Sur le plan administratif (43 W 142, 1623 W 58, 1699 W 28-30), il existe également des procédures d’épuration parallèles aux circuits judiciaires. Différentes commissions peuvent intervenir (corporatives, d’enquête administrative…) et proposer des sanctions professionnelles. Même si le préfet peut, en attendant une décision officielle, prononcer une suspension de fonction, c’est le ministre, sur proposition de la commission centrale d’épuration (exerçant par ministère), qui prononce la sanction administrative (déchéance de grade, exclusion temporaire, révocation…) ; seul, le Conseil d’État peut l’annuler.