Le mort saisi le vif : les inventaires après décès sous l’Ancien Régime

Mort de Henri II par Perissin © Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Mort de Henri II par Perissin © Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Généalogie, Histoire économique

Selon le droit coutumier, « en ligne directe, le mort saisi le vif », c'est-à-dire que l’ascendant ou descendant succède de plein droit au défunt, soit de son chef soit par voie de représentation assurée par une tutelle. En l’absence d’héritier direct, ce sont les collatéraux qui prennent part à la succession.

Un inventaire des biens du défunt est nécessaire pour protéger les droits de ceux qui ont ou peuvent avoir intérêt dans la succession : les héritiers « naturels » du défunt (conjoint survivant, enfants, héritiers collatéraux), et ses créanciers. Il est dressé à leur demande, et aussi dans le cas d’une succession dont les héritiers sont inconnus. En cas de décès de la mère, et en présence d’enfants mineurs, le père est garde naturel de ses enfants et tuteur de droit : il n’y a pas d’autres formalités immédiates à accomplir, sauf s’il désire mettre fin volontairement à la communauté. Mais si c’est lui qui décède en premier, la désignation d’un tuteur pour administrer les affaires des enfants mineurs est imposée, et c’est souvent à la mère ou à un proche parent que la justice confie cette mission. L’inventaire des biens est dans ce cas obligatoire avant que délivrance soit faite au tuteur des biens des mineurs issus de la succession. Compte tenu de l’âge de la majorité – vingt-cinq ans -, les tutelles sont fréquentes et le nombre des inventaires important.

Comment se présente les inventaires ?

En introduction et la plupart du temps, on trouvera :

  • le nom du défunt (parfois son surnom), accessoirement sa profession, son lieu de résidence,
  • le nom du greffier, sa qualité, lieu de juridiction et résidence,
  • le nom des parties présentes ou représentées qui requièrent l’inventaire (dernier vivant des époux, enfants majeurs, tuteur d’enfants mineurs, collatéraux, familiers, créanciers ou en cas de déshérence, procureur fiscal),
  • le nom des experts requis pour l’estimation (prisage) des biens, et dans le corps de l’inventaire :
  • la description de l’habitation, et l’estimation de chaque objet et meuble qui s’y trouve ; ces description et estimations peuvent se faire pièce par pièce dans le cas d’habitations importantes,
  • le prix estimé en face de chaque objet ou meuble, avec le total en bas de chaque page,
  • le cas échéant l’inventaire des titres et papiers et celui de la bibliothèque,
  • le montant de l’argent liquide trouvé, le détail de tous les objets en matière précieuse (argent, or, diamant)
  • l’indication des dettes,
  • la somme totale des estimations.

L’évaluation des biens est réalisée par des priseurs, souvent des femmes à Nantes ; mais on fait aussi comparaître des gens de même profession que le défunt pour être plus aptes à estimer les biens spécifiques à une activité. Les biens sont vendus à l’encan et le montant de la vente peut largement dépasser celui du prisage.

Les principales pièces annexes à l’inventaire sont le procès-verbal de mise sous scellés apposés après un décès sur les portes, coffres, meubles et papiers du défunt avant inventaire, et, le cas échéant, le procès-verbal de vente des biens au plus offrant après l’inventaire. L’inventaire peut être réalisé assez longtemps après la mise des scellés, au moment, par exemple, de la vente ou du partage des biens, lors du remariage du conjoint survivant ou de l’émancipation d’un enfant mineur.

Intérêt historique

Outre l’intérêt strictement biographique, les inventaires après décès constituent une ressource essentielle pour la connaissance de la vie quotidienne sous l’Ancien régime. Grâce aux indications très détaillées qu’ils contiennent sur les biens, leur état, les matériaux utilisés (bois, soie,…), ils font s’immerger dans la société et sont révélateurs de l’organisation sociale et professionnelle, des inégalités de condition, etc. Ils sont témoins de l’intimité des foyers (cadre de l’habitat, nombre de pièces, décoration intérieure, objets usuels,…).

Qui rédige les inventaires ?

En Bretagne, l’inventaire après décès est un acte dressé sur requête des intéressés par une autorité compétente : un magistrat, un commis, un notaire ou encore un clerc, relevant du siège de la juridiction dont dépend le domicile du défunt. Le père a la faculté de faire rédiger un inventaire sous forme d’acte sous seing privé.

Où sont conservés les inventaires

Quelle que soit la formule retenue pour faire dresser l’inventaire, il est ensuite obligatoirement déposé au greffe de la juridiction. C’est donc dans les fonds des juridictions d’Ancien régime (série B), royales et seigneuriales, que l’on trouve ce type d’actes. C’est une différence notable avec la situation d’autres provinces où ce sont les notaires qui, par privilège ou règlements spéciaux, rédigent exclusivement les inventaires et les conservent avec leurs minutes.

Comment retrouver un inventaire ?

Depuis la mise en place de la formalité de contrôle des actes (édit de mars 1693), les inventaires après décès, dressés ou non par un notaire après cette date, sont contrôlés. Ils peuvent donc être retrouvés grâce aux registres de contrôle.

Première étape : consulter les registres de contrôle des actes du bureau compétent territorialement (sous-série 2 C), et noter la date de l’inventaire et la juridiction où l’acte a été déposé.

Seconde étape : rechercher la juridiction dans les répertoires d’archives (série B), et repérer la cote de l’article correspondant à la date de l’inventaire.

Si l’inventaire est antérieur à 1693, la seule solution est de dépouiller les articles du fonds de la juridiction dont les dates extrêmes incluent celle du décès.

En savoir plus ...

« Nul n’est héritier qui ne veut », il est donc possible de renoncer à une succession ou de l’accepter sous bénéfice d’inventaire, une disposition permettant de n’être tenu des dettes et charges d’une succession qu’à concurrence de l’actif constaté par l’inventaire.

Pour les marins, en cas de décès pendant une traversée, on trouvera les inventaires de leurs hardes et biens dans les pièces déposées au greffe du siège royal de l'Amirauté de Nantes par les capitaines de navire (B 4978 à 4998, 1715–1776).

Le décès n’est pas le seul événement pouvant occasionner un inventaire : la séparation des biens, entre autres, en est également le prétexte.

Tableau des juridictions dans lesquelles les inventaires sont conservés

Juridiction

Principales cotes

Siège royal de la prévôté de Nantes

Scellés, inventaires et ventes de meubles
B 5646 à -5800 (1553-1747)

Sénéchaussée royale de Nantes et Présidial

Scellés, inventaires, ventes et partages de meubles B 6817à 6926 (1606-1790)

Sénéchaussée royale de Guérande

Scellés, inventaires, ventes mobilières, tutelles et curatelles, B 9058 à 9120 (1615-1790)

Juridictions seigneuriales (justices laïques, justices ecclésiastiques, justices des commanderies)

En raison du grand nombre de juridictions seigneuriales, il n’est pas possible de détailler ici les cotes et les dates extrêmes. Se reporter aux répertoires d’archives de la série B et plus précisément ce qui concerne les scellés, inventaires, ventes et partages de meubles pour chaque juridiction.

À noter

Les inventaires après décès se trouvent dans la rubrique « causes d’office » quand le répertoire d’archives n’est pas détaillé. On trouve également des inventaires classés avec les dossiers de procédure civile des juridictions, mais aussi, toute règle souffrant des exceptions, dans les minutiers de notaires.

Bibliographie

Coutume de Bretagne et usances particulières, Nantes, N. Verger, 1725, chapitres « Des successions et partages » et « Des mineurs et émancipations » (ADLA, 147 J in-8° 192).